{Mara}
Lequel tu préférerais? Mon éternel chapeau cloche ? Un bibi ou un boléro avec une voilette? Oh non ça n’est pas pour la maîtresse ça. C’est pour la régnante. Mon Jacques, quelle souffrance de te dire au revoir aujourd’hui et me mettre à l’arrière plan comme toujours. Maîtresse d’une vie entière, devrons-nous aussi te partager dans l’éternel?
Françoise elle savait, ne te méprends pas. Elle était venue à la boutique. Le 12 novembre 1984. La clochette avait tinté et le froid s’était engouffré, saisissant, faisant se soulever les flanelles et les biais de tissus. Le bleu de ses yeux m’avait transpercée de peur et de honte. Je savais que c’était elle. Et j’avais tout de suite compris ce que tu ne pouvais désaimer. Derrière la glace, tout est limpide, doux, clair, apaisant. Un océan aux eaux calmes. Je lui avais servi un thé et elle n’avait posé aucune question. Elle m’avait juste dit que la chapellerie était magnifique. Que la vie est une rose jonchée d’épines et que nous formions un joli bouquet dans ta vie. Qu’elle ne m’en voulait pas.
O combien je m’en suis voulu dès lors. De continuer d’arpenter la rue des Marronniers pour gérer tes locataires et les loyers impayés. De défaire mes cheveux et enlever mon rimmel dégoulinant après un énième report de nos rencontres. T’imaginant attablé devant le col claudine de tes filles, la chaleur de ton foyer, moi en déshabillé, favorite à l’occasion, répudiée si souvent. Et pourtant je t’ai aimé toute ma vie l’amoroso. Tout de suite quand tu as poussé la porte et que tu m’as demandé un borsalino.
22 ans la ch’tiote et mon cœur avait volé en éclats. Quand après quelques courtiseries tu avais fait glissé le nylon le long de mes genoux, que tu avais pénétré mon cœur et percé ma candeur dans l’arrière boutique sur les chutes de molleton. L’odeur du vernis du parquet est encore là, quand je ferme les yeux. Celle de ton veston en cuir aussi, mêlée au feutre du chapeau que j’avais confectionné dans la journée.
J’aurai vu le film de notre vie, je n’aurai peut-être pas signé l’immoralité et la solitude.
Je nous aurai jugés, moi la modiste talentueuse au crochet du bellâtre Lyonnais de bonne famille de la place Bellecour. J’aurai pleuré la naissance de chacune de tes 4 filles quand mon ventre restait vide. J’aurai hurlé devant les mensonges, les fourberies, l’enveloppe de ta bonne-maman me sommant de déguerpir.
Mais on l’a vécue la vie mon Jacques. De nos voyages en catimini à nos rendez-vous hebdomadaires du jeudi à 14h à la maison de retraite pour nous conter nos souvenirs.
La poule au pot du dimanche soir, les ébats sur mes croquis, les canons le long des quais de Saône et les picnics au Lac du Ternay, le tango chez Mamie Jo à Grigny et le pâté de tête de la rue Félix Grin. Les voyages d’affaires, les tiennes, moi t’attendant frénétiquement, le cliché de la maîtresse dans les hôtels luxueux, allongée, lascive dans des draps de soie. Les miennes, Milan pour les tissus, Calais pour la dentelle, New-York pour les défilés. La passion qui ne s’est jamais éteinte, mes hanches brûlantes sous ton regard fier.
Je n’ai connu que toi, mais nous nous sommes connus que vraiment nous à travers nous. Et j’ai choisi. Ça sera une Capeline.
Inspirée par Marie-Antoinette, qui fut la maîtresse du propriétaire de l’appartement de Sophie