Ecriture,  Les Brins de laine

Pierogis #brindelaine4

{Octobre}

Je n’arrive plus à décoller les yeux des écrits de Janna. J’aimerai l’appeler mais je sens que ce n’est pas encore le moment. Qu’il faut que je termine. Pour que je sache quel est ce secret qui va se dévoiler entre les lignes. S’il faudra taire ma curiosité et sa pudeur ou mettre en lumière les secrets pour que les racines s’assainissent pour toute la vie. Quand j’avais reçu son courrier, je lui avais adressé une petite carte.

Ma Janna, pensée de l’Ile d’Oléron où Marek, les filles et moi passons le week-end. Votre cahier prend le sel et l’air marin et remplace sudokus et potins de magazines dans mon sac de plage. Quel cadeau vous me faites!
Affectueusement, Louise

Je sens bien que ça va exploser et de toute façon j’ai toujours su qu’il y avait un polichinelle dans la matrice. Dans les silences. Remplacés par l’amour et les plats débordants de Mamouchka. Dans la fuite de Marek. Les 10 ans de thérapies d’Hana sans qu’elle sache pourquoi ça ne va pas. Un jour j’avais lu qu’un traumatisme, quel qu’il soit et quand il fut, il s’inscrit dans les gênes pour toute le vie. T’aura beau aimer à coup de goulash et de babka du dimanche, si c’est là, ça poisonnera et te pourrira de l’intérieur.

Nous avec Clarisse, on avait décidé de couper les liens. Pas les nôtres, qu’on tisse encore en 1000 fils de couleurs. Mais ceux du traumatisme. De l’abandon. Nous étions allées voir une sorcière. Trouvée dans un vieux annuaire chiné à Mirepoix lors de nos balades mensuelles du jeudi. Ce jeudi off que j’avais instauré il y a 5 ans suite à la perte d’un procès qui m’avait mise à terre et le suicide de ma cliente Véronique les jours suivants.

C’était un matin d’août l’année dernière. J’avais pris mon inséparable golf décapotable cru 92′ et j’étais allée la chercher. J’avais pris la nationale de Carcassonne, jonchée de vignes cramées par l’été. Le soleil se reflétait sur les briques roses des fermes du Lauraguais, les tournesols dormaient encore. Je sentais le matin frais sur mes jambes. La rosée et le fumé des ballots de foin.

J’étais sereine. Avec Clarisse, on s’était déjà tout dit et dans la voiture on avait pas dit un mot. Nous avions longé les collines escarpées de l’Aude jusqu’au village de Fa. Comme une clé qui allait ouvrir tous les tiroirs de nos commodes et laisser s’envoler la culpabilité. Annabelle nous avait reçu dans sa petite maison en pierre bordée d’Hortensias violets. Elle avait préparé du thé aux fleurs de framboisiers et des financiers. C’était notre dernière séance. J’avais fondu mon regard sur le napperon crocheté sur la vieille maie en bois, sentie la main de ma mère se déposer au creux de la mienne et je ne me suis plus souvenue de rien. Et puis nous étions revenues par l’Ariège pour picorer du bethmale et de la croustade les pieds dans la rivière. Pour laisser faire l’invisible en faisant des ricochets dans l’eau.

Je ne sais pas quand et comment les fantômes sont partis. Je ne sais même pas si ce sont ceux que nous voulions faire s’évaporer qui s’en sont allés. Mais je me souviens de ce matin d’automne où je me suis réveillée et où je n’ai plus pleuré ni Véronique ni les autres. Où je n’ai pas cherché derrière mes paupières endolories d’un nouveau jour la clarté d’une vie plus facile. Clarisse, elle, elle ne m’a rien dit. Mais un jour elle a arrêté de recoller la porcelaine. Et puis dans les mois qui ont suivi, son ventre et ses seins se sont emplis. Comme si elle délaissait le déni de la gamine de 16 ans pour pouvoir enfin s’épanouir dans son corps de femme. Et me refaire une place au sein de sa chair.

11h. La plaidoirie pour Rosa à 16h est bouclée. J’ai faim et le frigo est vide…

"Oui allo"
"Bonjour Mamoushka, c'est Louise. Je peux venir déjeuner à midi avant l'audience? "
"Oh oui ma grande, viens! J'ai fait des pierogis!"

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