Ecriture,  Les Brins de laine

Les petits cœurs #brinsdelaine2

{Septembre}

08h02, maquillée, coiffée, au taquet. Bon sang me faudrait vraiment un mari à temps complet que je puisse me faire ce 1er café! Hier soir, j’avais à peine lu deux pages que je sombrais. 12 septembre ressenti 38 novembre. La rentrée, je me la suis farcie toute seule, encore une fois. La 4ème… Heureusement que Mamouchka est là. Plutôt envahissante mais y’a pas à chipoter, jolie maman à une belle âme de mère.

« Les filles! chaussures, manteaux! On enchaîne ».

La mienne elle a déserté le jour où j’ai poussé mon 1er cri. Elle était déjà absente quand elle s’est faite violer dans les vignes de Saint- Frichoux par son tapé d’oncle alcoolique. Complètement dissocié quand j’ai poussé ma tête entre ses cuisses en plein cours de SVT sous son ventre plat. Apathique le jour où elle a signé notre séparation à l’assistance publique. J’ai longtemps étouffé ma voix et mes cris après ça.

Je me souviens le jour où j’ai pu avoir accès à toutes les informations concernant ma naissance. J’avais 18 ans et 26 jours et ma demande de consultation de mon dossier à la MDAAOP* avait été acceptée. J’étais repartie avec une grosse enveloppe sous le bras. Vignétée Louise … , née sous X, mère Clarisse …., 16 ans.

Il faisait une chaleur de dingue à Toulouse, la moiteur de l’atmosphère avait envahit mes mains, mon coeur et mes tempes battaient à 1000 à l’heure et le bas de mon ventre tressautait. L’endométriose de la peur. Et pourtant j’avais froid. Je grelottais d’effroi. Je me glaçais de ce que je pressentais sous mes doigts. Je m’étais posée au bord du Tarn, dans un coin paumé, le walkman vissé sur les oreilles et Téléphone qui m’envoyait cocassement du « Un peu trop loin – De toi pour être bien – Et trop de liens – Pour aller bien loin ».

Les fesses ankylosées sur les galets, j’avais tout lu d’une traite. J’avais failli me pisser dessus quand j’avais lu de quoi j’étais née, façonnée. Je n’en avais ni parlé à Yvonne ni à Bernard le soir quand j’étais rentrée. Quand j’avais vomi le dîner, j’avais prétexté que je me sentais barbouillée. Pourtant, Yvonne elle avait bien senti et était restée dormir avec moi toute la nuit. C’est elle qui savait me réchauffer depuis toujours. La vie elle lui avait pas permis de donner la vie mais son nid était le plus rassurant du monde.

J’avais fini par aller rencontrer Clarisse, dans un fin fond du village du Minervois. Elle faisait des poteries. Elle avait cicatrisé en massant la glaise et en faisant du kintsugi, cette technique japonaise qui consiste à réparer un objet brisé en soulignant ses fissures avec de l’or au lieu de les masquer. On avait ouvert ensemble sa boîte à secrets. Comparé la courbure de nos fesses et nos grains de beauté. On avait décidé de s’aimer et on ne s’était plus jamais séparées.

Depuis ce jour, j’ai tout compris. Que la vie peut te bousiller en une fraction de seconde. J’avais enchaîné les études d’avocate. M’étais confrontée. Dans les foyers, les commissariats, les asso, les salles des fêtes, les cités, à l’étranger, sur mon pallier. Bénévolement, en stage. J’ai été menacée, écœurée, éblouie, bouleversée, animée. J’ai failli faire demi-tour 1000 fois et comme n’ai pas su quoi faire d’autre, je me suis spécialisée en droit pénal. Et je n’ai plus pu jamais cessé de faire entendre ma voix. Pour toutes les femmes. Les tabassées, les blessées, les violées, les divorcées, et même les coupables. C’est pas cliché tout ça. Et la résilience, ce n’est pas qu’un truc cucul de tête de gondole chez Cultura. C’est pour l’existence qui t’étrille. Et pour laquelle tu as besoin que quelqu’un te dise que oui, ça vaut le coup de peindre un filet d’or.

« Ava, pour la 1000ème fois stp met tes chaussures » « Cam lève les yeux de ton bouquin »

Camélia…ma fleur…mon 1er bb. Comment on peut conserver son ainé dans un congélateur pendant 20 ans. Entre le civet de sanglier et les mystères à la nougatine. Rosa elle a pu faire ça. Et quand son mari il est tombé sur un petit poing recroquevillé en voulant ajouter la prise du jour, il a perdu toute sa virilité de gilet rouge. Pendant sa garde à vue, Rosa avait rétorqué que c’était plus humain de garder son bébé auprès de soi que de dépecer un jeune chevreau volontairement séparée de sa mère et que son José et ses comparses graveleux faisaient bien moins de sensiblerie quand ils faisaient un trou de la taille d’un melon dans la poitrine d’une jeune randonneuse, aussi accidentel soit le fait.

Café…café…café

« La ceinture c’est ok? Tout le monde a son petit cœur sur le poignet? » Le petit cœur sur le poignet… notre synchronisation. Un truc de maman poule vu sur Instagram. Une pensée quand l’une de nous défaille ou a peur; pour qu’on se rappelle qu’on est là et qu’on s’aimera pour toujours. Pour quand Marek s’en va, que les filles ont l’examen de judo ou que je dois voir Rosa au parloir au sujet de son bébé congelé. Je crois que si je pouvais, je le ferai tatouer à toutes les personnes que j’aime. Ah oui merde le cahier de Jeanne!

« Bonne journée mes amours! ce soir c’est Mamyvonne qui vient vous chercher à l’école »

Pas étonnant qu’il est pas envie de quitter sa plateforme pétrolière tiens au milieu de cette vie de femmes. Pourtant je chouine et lui demande quand est-ce qu’il daignera changer de métier pour se rapprocher de nous. Parce que c’est quand même à lui que j’ai envie de tamponner le plus de petits cœurs.

08h40. Il me reste 1h30 avant d’aller voir Rosa pour continuer de ficeler une défense qui lui permettrait de rerespirer son grand air Ariégeois et de planter ses bulbes de Jonquilles. Je pose la voiture à la maison et file au café du quartier avec les secrets de ma Janna Polonaise.

*La Maison Départementale de l’Adoption, de l’Accès aux Origines et de la Parentalité

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