Ecriture,  Les Brins de laine

Le courrier #brinsdelaine1

{Septembre}

Comment est-ce qu’on écrit sur sa vie quand on a 92 ans ? Qui cela intéresse de lire une vieille dame comme moi? Mes filles qui n’ont fait que me reprocher mes choix? Mes petits enfants, pour qui ma jeunesse ne reflète en rien la leur? A qui confier ses souvenirs, ses joies, ses peurs et ses regrets? Est-il bien utile de mettre en lumière sa pudeur et en mémoire ses secrets …. et de raconter tous ces brins de laine qui ont tricoté ma vie?

Ces premières pages… Jeanne elle sait bien que moi ça m’intéresse. Moi qui aime les histoires . Qui l’aime elle. Sa douceur, sa clairvoyance, sa main verte et son esprit affuté. Qui lui demande toujours comment c’était de vivre à deux pas de la rue Maignan pendant l’occupation. Qui dévore son clafouti que tout le monde trouve trop acide et qui lorgne sur ses petites fourchettes à dessert en argent quand on débarrasse la table.

Alors quand j’ouvre ma boîte aux lettres ce soir, que je reconnais son écriture fine en pattes de mouche sur l’enveloppe et son odeur sur le cahier en croûte de cuir usé par le temps, je sens tout de suite qu’elle me fait un cadeau.

« Ma chère Louise, quelques mémoires, sans prétention et sans que vous vous sentiez obligée. Tendrement, Janna »

Il est 23:30. Marek est reparti sur la plateforme il y a quelques semaines, les enfants sont déjà couchés et je n’ai même pas enlevé ma robe. Je suis épuisée par ce procès que je n’arrive pas à mettre à distance. Mais évidemment que je ne vais pas résister à commencer à la lire …

Parce que c’est en moi avant « eux » qu’elle place sa confiance. Qu’importe mes 40 ans et ses 92. Que je sois une pièce rapportée dans la famille et qu’un jour je puisse en être répudiée. Elle n’est pas le personnage que la vie fige dans son temps ou dans son rôle. De femme à femme, Janna et moi, on a notre âme miroir.

Je remercie Pauline pour le bain et les devoirs, lui demande si elle veut que je lui commande un uber tandis que je réchauffe le hachis parmentier rapporté du déjeuner dominical chez Mamouchka. Et entre deux fourchettes brûlantes, lovées dans le canapé, dès la première page, je frissonne…

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